LE TRIBUT DES TROIS GÉNISSES ENTRE LE BÉARN ET LA NAVARRE AU PAYS BASQUE EN 1926 (troisième et dernière partie)
LE TRIBUT DES TROIS GÉNISSES.
La Junte de Roncal est une cérémonie multiséculaire, connue sous le nom de Tribut des Trois Vaches, qui est célébrée le 13 juillet de chaque année, au niveau de la borne internationale 262, marquant la frontière entre la France (Pyrénées Atlantiques) et l'Espagne (Navarre).
JUNTE RONCAL NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN
Cette cérémonie a lieu au col de la Pierre Saint-Martin, à 1 760 mètres sur la commune d'Arette.
A cette occasion, les maires béarnais de la vallée de Barétous remettent à leurs homologues de la vallée de Roncal trois vaches en vertu d'un traité vieux de plus de six siècles, considéré comme étant le plus ancien actuellement en vigueur en Europe.
Cette cérémonie est inscrite à l'Inventaire du patrimoine culturel immatériel en France depuis 2014.
Voici ce que rapporta à ce sujet le mensuel La Grande Revue, le 1er septembre 1926, sous la plume
... "Ceci fait, les soldats (des paysans armés) s'avancèrent, au nom de la vallée de Roncal (à eux seuls il était permis de porter des armes à feu dans cette cérémonie), ils exécutèrent des salves dans la direction de la France ; aussitôt après les représentants des deux vallées levèrent leurs mains et reprirent les lances. Cette formalité terminée, les députés de la vallée de Barétous ayant déclaré qu'ils étaient prêts à livrer les trois génisses, M. l'alcalde de la ville de Issaba, nomma comme expert son vétérinaire don Raphaël Echavarne, pour examiner les génisses ; celui-ci étant présent accepta la mission et prêta serment, promettant de remplir bien et fidèlement le mandat qui lui était confié.
Une des trois génisses présentées par les députés de la vallée de Barétous, attachée par les cornes avec une corde au lieu de joncs, placée sur la limite des deux pays, fut examinée par ledit expert qui déclara qu'elle remplissait les conditions exigées ; elle fut remise aux représentants de la ville de Issaba. La seconde fut présentée dans les mêmes formes, examinée par le vétérinaire, reconnue conforme et remise aux représentants de la ville de Garde. Dans les mêmes formes fut présentée la troisième génisse ; après examen, l'expert déclara qu'elle avait trois ans ; elle fut refusée comme ne remplissant pas les conditions stipulées, ayant une année de plus ; 24 heures furent accordées pour en présenter une autre sur la place de Issaba.
Cette formalité ayant été accomplie promptement, les représentants des deux vallées procédèrent à la nomination des gardes, pour assurer la défense, l'entretien et la conservation des pâturages et eaux des territoires d'Ernaz et de Leja. En leur conscience, les députés de la ville de Issaba désignèrent et présentèrent Antonio Ezquer y José Maria Nicolas, pour le territoire d'Ernaz ; Salvador Barace et Francis Garde, pour celui de Leja, tous 4 domiciliés dans la ville de Issaba ; de la part de la vallée de Barétous furent présentés et désignés M. Martin Larriet, M. Pierre Burdet pour Ernaz ; MM. Martin Nogué et Santiago Legarde, pour celui de Leja. Tous prêtèrent serment de remplir avec fidélité et exactitude leurs fonctions et obligations, de prendre des précautions, de dresser des procès-verbaux, quand des délits commis sur ces territoires l'exigeraient ; chaque fois que des troupeaux franchiraient la frontière, ceux d'Espagne pour aller dans les pâturages de juridiction française et réciproquement, le tout en les formes stipulées dans les accords sur cette matière spéciale ; toujours sans user de mauvais procédés, de mauvais traitements soit envers les bergers, soit envers les troupeaux, sans erreur et sans abus d'autorité. Il fut intimé aux gardes que si les contrevenants ne se soumettaient ni à leurs ordres ni à leurs procès-verbaux, M. l'alcalde de Issaba les citerait à l'audience qui se tiendrait le 13 juillet 1865.
La cérémonie se continua par l'annonce à haute vois qu'il allait être procédé à l'audience dudit jour, qu'au cours de cette audience qui terminerait la cérémonie, s'examineraient et se jugeraient les procès-verbaux dressés au cours de l'année."
JUNTE RONCAL NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN
Le texte de cette convention est assez long, écrit en vieux patois ; s'il est clair en ce qui touche le mode de paiement des trois génisses, il reste muet sur les détails de la cérémonie fixée au 13 juillet de chaque année. Il constate sans fixer clairement les motifs de l'interruption dans le paiement du tribut, que la vallée de Roncal avait versé à la date de janvier 1643, la somme de 11 000 francs à répartir entre les communes de la vallée de Barétous, d'après leur population. Il fixe le lieu où doit se livrer le tribut, dit "Coigt de la Peyre".
Depuis cette époque, la livraison des trois génisses a lieu par roulement, de la façon suivante :
1re année. — Par Arette, Issor et Lanne.
2e année. — Par Arette, Lanne et Aramitz.
3e année. — Par Aramitz, Ance et Féas.
Enfin, notons que depuis une quinzaine d'années, ont été supprimés de la cérémonie annuelle le jet de la lance sur le sol français et les coups de feu tirés vers la France, par les délégués espagnols.
En appendice de son curieux, mais vraiment trop partial ouvrage (catholique et carliste) sur les 4 provinces vascongadas, Alava, Biscaye, Guipuscoa et Navarre, M. Juan Masse y Plaquer reproduit le texte d'un acte de 1750 publié par le père Risco, dans le tome XXIII de l'Espagne sacrée. Cet acte ressemble de fort près, comme texte, exactement comme détails, à celui beaucoup plus récent (1864) que nous avons traduit. Il affirme que la cérémonie remonte à un temps très lointain, que c'est bien une amende infligée aux habitants de la vallée française de Barétous.
JUNTE RONCAL NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN
Quelle peut être l'origine de cette amende relativement onéreuse et fort humiliante pour nos compatriotes béarnais ?
L'auteur de El Oasis, qui parfois a une imagination trop féconde et une documentation en apparence trop riche, a, sans y insister, du reste, mis l'avis que le passage des Cimbres ne serait pas étranger à l'antique querelle surgie entre Roncalois et Barétonois (Alphonse Daudet a consacré une délicieuse et joyeuse nouvelle à une certaine traversée d'un village provençal par une horde Cimbre). Donc, des Cimbres auraient envahi la vallée de Roncal, grâce à la complicité des pasteurs Barétonois qui les auraient guidés dans les défilés et les auraient aidés. Après avoir victorieusement repoussé les envahisseurs, les Roncalois auraient puni leurs voisins en leur imposant un tribut annuel de 4 chevaux chaussés de balzanes blanches !
TRIBUT 3 GENISSES RONCAL 1893 ARTICLE LE PETIT PARISIEN 23 JUILLET 1893
Peu à peu, les habitants de la vallée de Barétous auraient le tribut des trois génisses négligé de payer le tribut, puis l'auraient totalement oublié. Or, en 1373, deux bergers, l'un de la vallée de Roncal, l'autre de la vallée de Barétous, se seraient rencontrés à une fontaine située à la frontière du por et se seraient pris de querelle pour abreuver leur troupeau. De paroles vives ils en seraient venus aux menaces, aux coups et le Roncalais Pedro Carrica aurait tué le Barétonois Pierre Sausoler. Il n'en aurait pas fallu davantage pour ameuter les parents de ce dernier. Rassemblés, armés, ils auraient envahi la vallée de Roncal, pénétré dans Issaba, tué la femme de Carrica, qui était enceinte, lui ouvrant le ventre et pendant le foetus, avec les entrailles de sa mère, à une branche de hêtre. A leur tour, les Roncalois auraient envahi la vallée béarnaise et massacré tous les parents de Sausoler, première victime.
Il y a probablement du vrai dans cette "histoire" qui ne donne pas la clé de la véritable, immémoriale origine du tribut, puisque son paiement était interrompu depuis plusieurs années déjà. Toujours est-il qu'une guerre implacable sauvage était déchaînée entre Barétonois et Roncalois (de ce côté seules les villes d'Issaba, d'Ustarroz, d'Urzazinsqui et de Garde y avaient voulu prendre part), quand le roi de Navarre don Carlos, dit le Mauvais et Gaston, prince de Béarn, arrivèrent au pouvoir. Tous deux firent les plus grands efforts pour apaiser cette guerre implacable et ruineuse pour les deux vallées ; malgré l'aide que leur donnèrent les évêques de Bayonne, d'Oloron, de Pampelune et de Jaca, les recteurs de Barétous, les abbés de Roncal, ils ne purent obtenir le moindre résultat satisfaisant.
C'est la lassitude des deux partis, décimés, presque ruinés, qui les fit céder aux instantes supplications de braves gens voisins qui leur proposèrent de les réconcilier ; un armistice fut conclu et un tribunal arbitral rendait, le 12 août 1375, une sentence enregistrée, le 16 septembre suivant, par le notaire royal don Sancho Aznaroz. C'est dans cette sentence que pour la première fois, figure le tribut des trois génisses qui devait être acquitté le quatrième jour après la fête de Septemfratrum.
JUNTE RONCAL NAVARRE 1906 PAYS BASQUE D'ANTAN
La paix fut scellée. Seule, la traditionnelle cérémonie, qui a traversé les siècles, résistant à tous les accords entre l'Espagne et la France, rappelle que ce n'était pas toujours une vie d'églogue que menaient nos bergers pyrénéens. Et quels coins propices aux combats d'embuscade, aux coups de main sournois et violents, que ceux qui se rencontrent en cette sauvage vallée de Barétous, cette tourmentée vallée de Roncal où les troupes françaises pénétrèrent en 1808 et où le légendaire Mina, le héros fameux de la guerre de l'Indépendance, centralisait son outillage aussi maigre qu'improvisé, ses munitions et recrutait ses plus ardents guérilleros !
Mais, ne serait-il pas temps de mettre, par un accord entre les deux gouvernements, un terme à ce tribut irritant et de substituer à la rancunière cérémonie du 13 juillet une fête de fraternelle amitié ?
Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.
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