LES AGOTHS EN 1877.
Un(e) cagot(e), dans le Sud-Ouest de la France, était aussi appelé agote, sur le versant Sud des Pyrénées, en Espagne. Il s'agissait de termes dépréciatifs qui désignaient des groupes d'habitants, exerçant des métiers du bois, ou du fer, frappés d'exclusion et de répulsion dans leurs villages, surtout au Pays Basque.
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BENITIER DES CAGOTS 65 ST SAVIN
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Voici ce que rapporta à ce sujet le Bulletin de la Société Ramond, en janvier 1877 :
... Emigration des Agoths de la Basse-Navarre. Leur établissement dans le Baztan.
— On sait que du temps de Louis VIII (1226-1270) il existait en France 2 000 léproseries ou hôpitaux.
Philippe V dit le Long (1316-1362) pourchassa les Lépreux et les Agoths. L'histoire dit que ce monarque les dispersa comme les Juifs, pour des excès et abus commis par eux, ainsi que les crimes qu'on leur imputait.
C'est donc vraisemblablement à cette époque que les Agoths se répandirent dans la Navarre Espagnole. Les plus odieux préjugés avaient déjà précédé leur arrivée dans le Baztan.
Ils se fixèrent sur le territoire de Arizcun, village situé non loin d'Elissondo, et fondèrent un hameau qui porte le nom de Bozate, qui signifie pays de joie, de délivrance. N'oublions pas, en effet, que les Agoths jusque-là n'avaient rien en propre.
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BOZATE ARIZCUN NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ils se placèrent sous la protection d'un seigneur de Ursua, qui leur concéda des terrains pour lesquels ils paient encore annuellement, aux descendants de Ursua, une contribution qu'ils appellent Acura. Seulement le seigneur leur imposa comme obligation, d'aller dans ses moulins pour moudre le blé. Cette dernière clause a disparu à la suite d'un procès que les Agoths intentèrent au señor de Ursua.
Nous devons signaler ici un incident qui marqua leur établissement à Bozate. La commune d'Arizcun leur ayant donné du bois pour bâtir des maisons, dans la nuit, les habitants d'Arizcun hachèrent en menus morceaux les bois appropriés pour lesdites constructions.
Les premiers actes des registres d'Arizcun ne remontent qu'en 1602. On y trouve déjà, à cette époque, les noms d'Agoths de Bozate se présentant pour le baptême de leurs enfants.
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BOHEMIENS 19EME SIECLE
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Arrivés à Bozate, ils entreprirent les métiers de charpentier, maçon, et tourneur sur bois. Nous avons vu, lors de notre voyage à Arizcun, en l'année 1875, des balustrades parfaitement tournées, ornant les balcons de leurs chalets.
Au début et jusqu'à ce siècle, les Agoths furent soumis à certaines prescriptions traditionnelles attachées à leurs personnes. Ainsi, dans beaucoup d'églises l'on voit encore des portes, des tribunes et des bénitiers spéciaux, destinés aux Agoths. Dans les cérémonies religieuses, processions, adorations de la Croix, enterrements, etc., les Agoths ne devaient se présenter qu'après les Perlutac. Le pain béni leur était même refusé. Il leur était également interdit d'embrasser les carrières libérales. En un mot, ils n'étaient point considérés comme des citoyens Espagnols.
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BENITIER DE CAGOTS 65 SAINT-SAVIN
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Jugements, ordonnances, procès, requête, etc., relatifs aux Agoths.
— En 1515, appel adressé par les Agoths au pape Léon X, pour faire disparaître les différences qui existaient entre eux et les Perlutac, pour les cérémonies, oblations, sacrements, paix.
Leur demande resta sans effet, quoi qu'ils y fissent amende honorable de ce qu'on leur reprochait d'avoir eu pour ancêtres des gens qui s'étaient révoltés contre l'Eglise Romaine pour aider le comte Raymond de Toulouse.
Le pape donna bien un avis favorable, mais le tribunal ecclésiastique de Pampelune motiva son jugement, en déclarant que les Agoths étaient des descendants des Lépreux du temps du prophète Elisée. Telles étaient encore les croyances erronées du temps.
En 1517, requête des Etats de Navarre à l'Officialité de Pampelune, qui, en 1519, reconnait justes les réclamations des Agoths de Bozate, et condamne les contrevenants à la peine de 500 ducats et à la censure ecclésiastique. Mais ce jugement n'eut son effet qu'en 1542.
En 1548, Charles-Quint publia deux ordonnances pour que les Agoths soient rétablis sur le même pied que les Perlutac, sous peine pécuniaire de 10 000 marévédis.
En 1658, sous Philippe II, les Bozateures intentent un procès contre les habitants d'Arizcun qui insultaient les Agoths à chaque propos. Les Arizcunonces sont condamnés, pour chaque fois qu'ils appelleront un habitant de Bozate par le nom d'Agota, à la peine de 1 000 maravédis (10 fr.) envers l'offensé.
En 1685, lettres patentes, en France, du Roi Louis XIV, pour l'affranchissement des Agoths.
En 1698, la Junte de Guipuzcoa expulse les Agoths de la province en même temps que les Juifs, les pénitents, etc.
En 1722, sur la plainte des Agoths, le Parlement de Navarre statue leur affranchissement. Ce fut le commencement de leur émancipation que la Révolution compléta en les assimilant aux autres citoyens.
En 1818, disposition législative des Cortès de la Navarre, leur accordant entrée dans toutes les carrières libérales, défendant l'appellation d'Agotha, abolissant les distinctions qui existaient entre eux et les Perlutac, et les déclarant aptes au même titre que tous les autres citoyens de la province. C'était l'heure de leur émancipation et de leur réhbilitation. En effet, jusqu'à cette époque, en dépit des ordonnances et des jugements, ils étaient regardés comme une race proscrite, assimilés aux Bohémiens, Juifs, Pénitentiers de l'Inquisition. Ils durent attendre avec tristesse le jour que les Cortès de Navarre leur accordèrent le droit de cité.
En 1842, l'autorité ecclésiastique se décide aussi à la suite d'une requête adressée au tribunal ecclésiastique de Pampelune par les Bozatenses pour qu'ils soient admis aux cérémonies religieuses au même titre que les autres chrétiens, et à décréter leur émancipation religieuse en prescrivant à tous les prêtres de la province de les assimiler aux autres catholiques.
Les Agoths depuis 1842 jusqu'à nos jours.
— A la suite de l'affranchissement religieux, décrété en 1842 par l'Officialité de Pampelune, il y eut deux révoltes à l'église d'Arizcun : un jour de vendredi saint, les Agoths de Bozate s'étant présentés pour l'adoration de la Croix, un Perluta barra le passage, par un vigoureux soufflet, à l'Agoth qui ouvrait la marche ; de là, tumulte et bataille générale. Le clergé enleva la Croix, et la cérémonie fut interrompue. Le curé actuel, Señor Don Angel Oscariz, homme vertueux et conciliant, a beaucoup fait pour apaiser les esprits, et grâces à lui aujourd'hui toute distinction a disparu entre les Agoths et les Perlutac. Seules les femmes, encore aujourd'hui, occupent une place spéciale assignée à l'église.
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BOHEMIENS 19EME SIECLE
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C'est vers cette époque également que deux jeunes Agoths entraient au séminaire de Pampelune et sont aujourd'hui dans les ordres sacrés.
Toute répulsion des Perlutac à l'endroit des Agoths n'a pas encore disparu. Ainsi ils les appellent encore dans les rixes (Beu), terme de mépris qui fait mettre l'Agoth en colère. (Cette expression est employée par nos paysans pour exciter les boeufs).
Dans les danses publiques, si un Agoth se mêle aux Perlutac bientôt on lui présente un siège pour s'asseoir.
Il y a quelques années, un riche américain, natif d'Arizcun gratifia sa commune d'une école communale, mais avec la clause que les enfants de Bozate n'y seraient point admis. Le progrès et la civilisation ont triomphé de cet ostracisme ridicule en faisant disparaître la clause un peu trop scrupuleuse du Crésus Arizcanensis. Et les enfants de Bozate fréquentent ladite école, et ils ne sont pas les moins intelligents de la classe.
De temps à autre, la vieille haine contre les Agoths se réveille, et éclate alors par des arguments ad hominem : un habitant de Bozate, établi comme métayer, il y a quelques années, au bourg d'Arizcun, a dû quitter le quartier ; il était nuit et jour poursuivi à coups de pierres. Le curé d'Arizcun, devant les remontrances des Pellutac, a été obligé de congédier une brave fille de Bozate, occupée par la benoîte à l'église paroissiale pour l'entretien de la lingerie. Un charpentier de Bozate, marié il y a environ trois ans avec une femme d'Arizcun, a été aussi forcé de quitter le bourg d'Arizcun et de construire une maison entre Bozate et Arizcun.
Toutefois, malgré ce reste de répugnance, les jeunes gens d'Arizcun ne dédaignent pas, depuis quelques années, les belles filles de Bozate, et l'on voit fréquemment le conjunyo couronner leurs fréquentations sentimentales.
Les Agoths de Bozate sont en général des gens pauvres, mais actifs, jaloux les uns des autres. Lorsqu'ils ont des différends entr'eux, ils s'adressent toujours aux Arizcunenses qu'ils prennent pour arbitres. Ce sont pour la plupart des journaliers, faisant les travaux des habitants d'Arizcun. Les femmes sont un peu querelleuses et ont la langue déliée. Bien que les auberges abondent à Bozate, les Agoths ne sont pas très adonnés au vin. Ils ne fréquentent jamais les auberges d'Arizcun. Ils parlent un basque très pur, et chose digne de remarque, plus pur que les Arizcunenses.
Quant au type, c'est le type Baztansies : front large, découvert et assez proéminent. Quant au lobule de l'oreille, il n'est pas adhérent à la région. Nous y avons vu, lors de notre excursion, de très jolis enfants. Le sexe n'est pas en général très beau. Se livrant, comme les hommes, aux travaux des champs, il est rustre comme partout où les femmes vaquent aux travaux si pénibles de l'agriculture. Le type blond tranché prédomine un peu plus que le type châtain. Nous n'y avons point vu de bruns.
La confrontation du crâne n'indique non plus rien de particulier. Si les Agoths ne sont pas Basques, il est étonnant que le type primitif se soit tellement modifié, tout en vivant dans l'isolement et ne contractant point d'union avec les Perlutac, pour qu'il ressemble aujourd'hui en tous points au type Basque."
A suivre...
(Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)
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