LES BASQUES EN 1817.
Depuis des centaines d'années, de nombreux voyageurs, traversant le Pays Basque, ont donné leur sentiment sur les Basques.
Voici ce que rapporta à ce sujet Etienne de Jouy dans l'hebdomadaire Mercure de France, le 5
avril 1817 :
"L'ermite en Province.
Les Basques.
Hum non populi fasces, non purpura regum,
Flexit, et invidos agitans discordia fratres.
Virg. Georg. 9
La pompe des faisceaux, l'orgueil du diadème,
L'intérêt dont la voix fait taire le sang même,
De ces hommes heureux ne troublent point la paix.
Delille.
Après avoir fait plusieurs excursions aux environs de Bayonne, après avoir parcouru le joli bois de Mousserol et visité l'habitation de M. M***, hors la porte d'Espagne, mon bon génie m'avait conduit le cours de la Nive ; de là j'embrassais une grande partie des vallées et des montagnes où vivent les Basques séparés, en quelque sorte, du monde entier par leur territoire et par leur langue : je réfléchissais que cet isolement ne les avait pas mis à l'abri de la renommée, et que César, dans une phrase très précise de ses Commentaires, fait d'eux un éloge après lequel il n'y a plus d'éloges, en parlant des races et des tribus de l'espèce humaine. Je me rappelais qu'en 1795, un ministre prussien (M. Humbold) était venu s'établir dans leur pays pour apprendre leur langue...
L'espèce de curiosité réfléchie que je mettais à parcourir des yeux ce vaste paysage, attira l'attention d'un homme d'un certain âge qui s'était approché de moi, et qui paraissait jouir de mon admiration. "Monsieur est étranger, me dit-il, en portant la main à son Berret. — Je suis né en France, lui répondis-je ; mais j'en suis sorti à quinze ans, et j'y suis rentré à soixante-douze, après avoir successivement habité les cinq parties du monde : vous voyez, Monsieur, que j'ai de la marge pour me choisir une patrie. — Vous n'hésiteriez pas, reprit-il vivement, si vous aviez, ainsi que moi, le bonheur d'être Basque. J'ai, comme vous, parcouru bien des pays, mais j'en reviens toujours à mes montagnes ; et plus j'observe ce petit coin de terre, plus je le compare à tout ce que j'ai vu, plus je trouve de raisons pour justifier à mes propres yeux la préférence que je lui donne.
C'était l'homme qu'il me fallait ; il ne se lassait ni de courir ni de parler ; je ne me lassai ni de le suivre ni de l'entendre. Ce personnage singulier avec lequel je me trouvai lié au bout d'une demi-heure, comme si je l'eusse connu depuis dix ans, est, à tous égards, un homme très distingué. Sa vaste instruction dont l'étude de l'antiquité parait avoir été l'objet principal, lui donne une sorte d'existence spéculative qui ne lui montre, dans le présent, qu'un point de départ vers les choses qui ont été, ou vers celles qui doivent être : on dirait qu'il a besoin de mettre les siècles et le générations au bout les uns des autres pour les apercevoir. Les Grecs, les Romains sont pour lui des peuples d'hier, et l'antiquité prodigieuse qu'il suppose à la petite nation basque, entre pour beaucoup dans l'amour qu'il a pour son pays natal. M. Destère (c'est le nom sous lequel il s'est fait connaître) m'a rappelé ces brames de l'Indoustan qu'il regarde comme les dépositaires de la sagesse humaine, et c'est, je n'en doute pas, a l'avantage que j'ai eu de vivre quelque temps avec les descendans des anciens brachmanes, que je suis en partie redevable de la considération qu'il m'a témoignée pendant la semaine que nous avons passée ensemble à battre les rochers et les vallons du pays basque. Ce qu'on va lire est le résultat de nos promenades et entretiens.
Les Basques sont des Phéniciens venus dans les Pyrénées, il n'y a pas moins de 5 000 ans pour en exploiter les mines, et l'on trouve encore leurs traces dans les excavations immenses des montagnes où les fouilles ont été faites.
Sous le nom de Cantabres, les Basques entrèrent sous la domination de Rome, plus difficilement et plus tard que les autres tribus de la péninsule. Cette domination, si pesante au reste de la terre, ne fut jamais pour eux un véritable joug ; ils avaient conservé leur langue, leurs moeurs et leurs coutumes administratives et judiciaires... Ce n'était pas un Lycurgue qui leur avait donné les lois orales qui les régissaient depuis tant de siècles ; ils les avaient reçues de la nature seule et tous avaient travaillé à les établir ; mais ces lois, que personne n'avait faites, ils les aimaient avec fureur, et les premiers historiens de Rome n'ont pu s'empêcher d'en parler avec une sorte de respect philosophique qu'ils n'ont pas toujours pour les institutions des autres peuples.
LYCURGUE DE SPARTE PAR MERRY-JOSEPH BLONDEL |
Les Basques habitent sur les revers opposés des Pyrénées occidentales ; la plus grande partie de cette nation est soumise à l'Espagne et forme la population de la Navarre, de l'Alava, de la Biscaye et de Guipuscoa.
Les Basques français occupent, le long des Pyrénées, un petit territoire divisé en trois contrées que l'on nomme la Basse-Navarre, la Soule et le Labour, lesquelles, avec le Béarn, forment le département des Basses-Pyrénées. Les Basques espagnols et français sont une seule et même race d'hommes ; leur taille est moyenne, mais svelte et bien proportionnée ; leurs traits sont prononcés, leur physionomie à la fois douce et fière ; ils sont vifs, laborieux et d'une agilité passée en proverbe. Les basques parlent une langue qui n'a d'analogie avec aucune des langues vivantes : quelques mots identiques qui se retrouvent dans les langues anciennes de la Grèce et de l'Egypte servent de base au système d'un homme célèbre, compatriote de M. Destère, lequel donne à la langue basque une origine phénicienne (mon docte compagnon entama sur ce point une discussion dans les profondeurs de laquelle je craindrais de m'engager ; je le rejoins au moment où ses raisonnements me semblent appuyés sur des faits). La langue basque paraît avoir été jadis la seule en usage dans toute l'étendue de la péninsule ; en effet, de Cadix jusqu'au Ferrol, de Lisbonne jusqu'à Pampelune on est étonné du grand nombre de rivières, de montagnes, de monument et de ruines qui portent encore des noms basques. M. de La Borde, dans son Itinéraire d'Espagne, nous dit : "que dans le royaume de Valence il a vu des souterrains antiques qu'on croit avoir servi de greniers ; il ajoute que dans le pays on les nomme siloa." Or, siloa est un mot basque qui signifie trou, souterrain, excavation (remarquons, en passant, qu'en hébreu, le mot siloe avait la même signification). Au fond du Portugal on trouve une ville bâtie ou rebâtie par un Romain, et qu'on nomme Hivi-Flavia (ville de Flavius) du mot basque hivia, qui veut dire ville : je pourrais, continua M. Destère, vous citer cent autres exemples de ces noms basques venus d'aussi loin, sans avoir changé sur la route.
ROUTE DE BAYONNE A BURGOS 1ERE FEUILLE LIVRE ITINERAIRE DESCRIPTIF DE L'ESPAGNE D'ALEXANDRE DE LABORDE |
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