LE TRAGIQUE DESTIN D'EUZKADI EN 1938.
La guerre civile espagnole, du 17 juillet 1936 au 1er avril 1939, contraint plusieurs centaines de milliers de Républicains et de Basques à l'exil dans le monde entier.
EXIL A HENDAYE SEPTEMBRE 1936 |
Je vous ai parlé dans un article précédent de la sixième publication de Pierre Dumas, au
sujet des Basques dans la guerre civile espagnole.
Voici ce que rapporta Pierre Dumas, dans le quotidien L'Aube, dans un septième
article, le 13 septembre 1938 :
"Le tragique destin d’Euzkadi.
X. — Les Allemands chez les Basques par Pierre Dumas.
Je vous ai montré la grande pitié du Pays Basque espagnol. Arrivé à la fin de cette enquête, j’éprouve, comme il m’arrive très souvent, mon impuissance à vous avoir traduit toutes mes pensées, toutes mes émotions. Cette fois surtout, j’aurais voulu vous faire sortir des horizons habituels en vous rapportant de lointains échos du martyre de ce "grand petit peuple", mais je constate que pour raconter la destruction de Guernica, pour relater la défense héroïque des villages, pour dire convenablement l’exode et l’exil de 200 000 personnes, il eût fallu un poète, qui, en ajustant de simples mots d’enfants, eût fait couler vos larmes.
Mieux exposés, ces drames vous eussent émus.
Mais, si vous êtes restés insensibles au sort de ce peuple douloureux, voici qu’à travers son histoire je viens vous parler de vous-même, de votre propre sort de Français, de votre avenir personnel et de celui de notre patrie.
En effet, depuis que les Basques ont été chassés de chez eux, depuis que, un à un, les villages ont été évacués par leurs propriétaires réels, depuis que le gouvernement d’Euzkadi n’a plus, pour fixer sa tente, un rocher, une plage de sa patrie, voici que les Allemands sont venus et qu’ils sont maintenant, plus que Franco lui-même, les maîtres du merveilleux Pays Basque.
SAINT SEBASTIEN - DONOSTIA 1938 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Oh ! je sais, des Français, même parmi mes amis les plus chers, sans nier totalement l’intrusion des Allemands en Espagne, estiment que leur venue n’est que passagère, que, la guerre finie, Franco se chargera de les mettre à la porte... et que, d'ailleurs, ils ne sont pas si nombreux qu’on le dit.
Pour ma part, je n’ai jamais été de ceux qui — même pour des buts louables — ont grossi les dangers. Aussi, sans gonfler les événements ou les chiffres, je vais me contenter d’une énumération de faits cueillis, avoués dans la presse de Hitler ou de Franco, avec l’espoir que si les Français qui excusent et "comprennent" l'intervention allemande récusent le témoignage des gouvernementaux, ils ne récuseront pas les textes du Führer ou de sa presse.
De tout temps.
Nul ne pourra nier que, de tout temps, l’Allemagne n’ait voulu en serrer la France dans un étau, en se créant un Etat ami ou allié au sud des Pyrénées. La grande tentative historique et classique fut celle de Charles Quint... Une expérience plus récente et plus cruelle, mais déjà oubliée, fut celle de la Grande Guerre. Tout récemment encore, l’ex-espionne Marthe Richard racontait quel nid d’espionnage et quel centre de ravitaillement pour les sous-marins boches avait été l’Espagne.
Mais deux provinces péninsulaires avaient, plus encore que les autres, retenu l’attention de Berlin : la Biscaye et la Guipuzcoa... autrement dit, l’essentiel du Pays Basque espagnol. C’est qu’il y a là quatre ports, grands et petits, bien abrités, à proximité de Bayonne, quatorze ports avec un mouvement de six millions de tonnes et une marine marchande qui compte pour la moitié du tonnage total de l'Espagne ; c’est que ce sol — tout étroit qu’il est — fournit la moitié du minerai de fer de la péninsule, et qu'il produit en abondance des pyrites... en un mot, ce qui manque à l’Allemagne.
Le gouvernement d'Euzkadi a saisi dans une maison de Bilbao des cartes allemandes des deux provinces, des cartes datant de 1911, tamponnées du service des mines de Prusse, et où sont marqués les gisements de toute nature, même de mines inexploitées, avec leur étendue, les noms des propriétaires et la densité des minerais.
HIMLER SAINT SEBASTIEN - DONOSTIA 1940 PAYS BASQUE D'ANTAN |
En 1911, ces cartes, que l’on compte par dizaines, — toutes estampillées, donc authentiques, — portent, en outre, les renseignements maritimes de toute la Côte Basque et française, avec les plans détaillés des ports de Bayonne et de Bordeaux.
1911. Et voici que le "soulèvement national espagnol" offre à l'Allemagne la réalisation du rêve de Charles Quint... et de ses prospecteurs d’avant-guerre, car, aujourd’hui, à la place des Basques dépossédés, voici les Allemands !
Leur nombre.
Après un voyage chez Franco, un Français éminent affirme n’avoir pas vu d'Allemands en Espagne. Or, dans les journaux du Reich énumérant les résultats du plébiscite, on relève :
Vapeur "Bellona", port de Pasajes. Ont voté : 423 Allemands et 53 Autrichiens. Tous ont voté "ya", sauf un bulletin nul.
Vapeur "Emden", port de Bilbao. Ont voté : 453 Allemands.
Vapeur "Pluton", port de Santander. Ont roté : 352 Allemands.
Il y a donc, rien que dans les régions basques et d'après les statistiques allemandes, un minimum de 1 281 Allemands.
FRANCO A SAINT SEBASTIEN - DONOSTIA 1939 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Bien entendu, je ne parle pas du plébiscite dans les autres parties de l’Espagne. Je parle seulement des Allemands qui ne sont pas des combattants, puisque les deux provinces sont acquises à Franco depuis longtemps. Il s'agit seulement de techniciens domiciliés à Irun (frontière française) et jusqu’à Bilbao.
Mais, ces gens-là, que font-ils ?
Mines et commerce.
Ces gens-là s’occupent, on peut en être certain... car les Allemands ne sont pas des touristes ordinaires.
Un édit de Franco a dépossédé officiellement et définitivement de tous leurs biens les Basques nationalistes qui ont lutté contre lui ou qui se sont enfuis. Ces biens (commerces, industries, mines) ont été vendus à des sociétés ou à des particuliers allemands.
L’hôtel d’Angleterre — le plus grand de Bilbao — est géré par un nouveau propriétaire, M. Otto Lœffler — dont le nom dit assez l’origine.
Une société allemande rachète les mines de Measuri et San Narciso — à quinze kilomètres de notre frontière. J’ai vu une circulaire offrant à des Basques réfugiés à Biarritz de leur racheter à raison de 150 pesetas des actions tombées aux environs du néant.
MINES D'ARDITURRI PEÑAS DE AIA GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Je possède la liste de quinze mines (toujours pour le Pays Basque) actuellement exploitées au seul bénéfice de l’Allemagne.
Qu’importe, d’ailleurs, les détails, voici un chiffre qui résume tout. Il est, lui aussi, officiel et tiré des statistiques générales :
Les exportations d'Espagne en Allemagne ont augmenté en moyenne de 33 000 tonnes en 1936 et de 180 000 en 1937 par mois.
Voilà qui nous fixe sur l’importance de la mainmise allemande sur l’Espagne... et aussi sur les buts réels de la croisade de Hitler contre le communisme... et pour le minerai. Je vous laisse deviner ce que vont devenir, sous l’impulsion allemande, les mines de cuivre, de mercure, de manganèse, de lignite, etc. ? qui marchaient jusqu’ici au ralenti.
Divers.
Mais l’emprise sur les mines et le commerce se traduit par une augmentation sensible des échanges maritimes. Maintenant, deux compagnies allemandes — Neptune et Oldemburg — font un service bihebdomadaire Bilbao-Hambourg. Le tonnage de Bilbao — uniquement allemand — est supérieur, mensuellement, aux tonnages du temps où toutes les flottes du monde fréquentaient ce port.
Pour donner une idée de l'étendue de la mainmise, il faut lire les petites annonces des journaux espagnols. Rien que dans le numéro du "Correo espagnol" du 19 avril 1938, on compte dix-sept offres de représentation de licences ou de produits allemands,
Exemples :
"Marathon. Tous matériaux et instruments de construction. Stocks immenses. Acier Marathon"... suit l’adresse.
Un représentant est demandé pour l’Espagne nationaliste pour la grande fabrique de papiers X... Ecrire, avec références et articles demandés, à Schatz, Duizburg (Germany)..."
Et, je le répète, il y en a ainsi dix-sept !
Servitude.
Hitler, on le voit, extrait tout le minerai possible du Pays Basque espagnol... Et ce sont 5 000 Basques, qualifiés de prisonniers de guerre, qui travaillent dans ces mines et reçoivent, en paiement, la nourriture et 0,35 pesetas par jour.
Ce détail est fourni par le journal franquiste "Hierro" de Bilbao (mars 1938).
Vous le voyez, je ne m’insurge pas ! Je n’emploie pas de grands mots pour enregistrer ces faits. Je viens seulement de constater que, à notre frontière pyrénéenne, à la place de nos amis basques, il y a maintenant des Allemands, des techniciens de Berlin. Je constate, sur des journaux de Franco, que l’ambassadeur du Reich est entré à Bilbao avec "les nationalistes" espagnols et que le général Koeln y a établi son centre. Je constate — toujours en lisant les journaux de Franco — que, aux dernières courses de toros de Saint-Sébastien, l’hommage d’une oreille fut fait à un officier allemand et que l’assistance toute entière se leva en criant : "Heil Hitler", vous entendez bien, à Saint-Sébastien. Je constate que 1 281 Allemands ont voté pour le plébiscite, étant installés dans le Pays Basque. Je constate que Franco permet à l'Allemagne de faire extraire par 5 000 Basques, payés par la nourriture et par 35 centimes par jour, du minerai qui va, en Allemagne, couler des canons. Je constate que les nouveaux horaires de la compagnie aérienne Luftansa portent une ligne Berlin-Bilbao, prolongée vers les Canaries espagnoles... et les habitants du Sud-Ouest de la France constatent comme moi le vol quotidien de "l’avion allemand".
SOLDATS ALLEMANDS PAYS BASQUE D'ANTAN |
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