LA MORT DU PELOTARI OTHARRE EN 1922.
Jean-Pierre Borda, dit Otharré, né le 21 mars 1866 à Ascain (Basses-Pyrénées) et mort à Ascain le 16 octobre 1922, est un des plus grands joueurs de pelote Basque de la fin du 19ème siècle et du début du vingtième siècle.
Voici ce que rapporta à son sujet, André Geiger, dans le quotidien Comoedia, le 25 octobre 1922 :
"Au Pays de Ramuntcho.
Sur la mort d'un pelotari.
Un pelotari vient de mourir !...
Voici l'automne, basque avec ses grandes immobilités apaisantes de silence et de lumière... Dans les ciels d'un bleu léger ou dans les grisailles dorées du vent du Sud, il y a je ne sais quelles mélancolies traversées de mystérieuses espérances... Le soir, au village d'Ascain, quand les ténèbres des jours devenus plus courts enveloppent les maisons blanches et la noire église, massive au milieu des tombes du cimetière écuries des dernières roses, la cloche appelle les fidèles pour l'office du mois du Rosaire... Aujourd'hui, elle sonne le glas...
Quels Parisiens, quelles Parisiennes, surtout dans le monde, des lettres, des arts, du théâtre, dans "le monde" tout court aussi, ignorent encore ce village d'Ascain, isolé à deux lieues de Saint-Jean-de-Luz, au pied de sa grande montagne, la Rhune, qui domine tout le pays basque, la frontière d'Espagne et l'Océan sans limites, du haut de son millier de mètres ?
ASCAIN DEPART DES TOURISTES POUR LA RHUNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ascain est en deuil, parce que Jean-Pierre Borda vient de mourir, à peine au seuil de la maturité, Jean-Pierre Borda qui fut célèbre, et qui l'était resté, sous le surnom sportif d'"Otharré". Avant l'époque de Chiquito, aucun nom ne dépassa celui-là. Et jusqu'à ces dernières années, si "Otharré" s'était retiré des frontons, laissant la place à de plus jeunes, il maintenait la tradition des Anciens, au trinquet (jeu de paume couvert), avec le vieux gant de cuir, ou, au dehors, dans les parties de "rebot", remplacées, hélas ! peu à peu, par les parties de "blaid" à "chistéra" (gant d'osier).
D'innombrables amis, tous les fervents de la pelote basque, viennent d'accompagner le pelotari vaincu par la mort au cimetière d'Ascain, où il reposera, dans la paix éternelle, à quelques pas de sa demeure — que nous connaissons tous.
Car la maison d'"Otharré", le jardin tout au moins, est mitoyenne à l'enceinte de la vieille église et à celle du vieux cimetière. Un simple mur, orné de chèvrefeuilles et de roses, sépare les vivants des morts.
Ici, sous les platanes, les tables rustiques de l'hôtellerie (quel visiteur du pays basque ignore que Jean-Pierre Borda, sa gracieuse femme, sa charmante famille, tiennent "l'hôtel de la Rhune", ce type achevé des bonnes auberges basques ?) ; là, sous les cyprès, les tombes de l'asile suprême. Des chambres, l'on entend les cantiques et les orgues. Ce mélange de profane et de sacré, de familial et de poétique, n'est pas le moindre attrait de ce coin privilégié. Et une quantité d'artistes adoptèrent, pour leurs villégiatures, l'hospitalière maison qui conservait l'ambiance du passé.
HÔTEL DE LA RHUNE ASCAIN PAYS BASQUE D'ANTAN |
Qui donc l'avait surnommée "le Barbizon basque" ? Maintes photographies dédicacées ornent çà et là les murs. Brieux y vint, quand il se documentait pour la Robe rouge. J'ai souvenir d'avoir travaillé à la Reine amoureuse (dont un livret de Pierre Maudru va faire un drame lyrique) et à Maï la Basquaise, dans une petite pièce blanchie à la chaux, sous le vieux toit de tuiles, où les heures bruyantes de l'horloge — juste à ma hauteur, dans le clocher — venaient frapper rudement.
Mais surtout — et je tenais à évoquer ce fait d'histoire littéraire qui donnera un pelotari "Otharré", une survie que ne lui eût peut-être pas donnée son renom de joueur — Loti a fréquenté, chez ses amis Borda, quand il commandait, à Hendaye, le stationnalre Javelot. Souvent, s'échappant de ce petit navire qui n'existe plus ou de son ermitage "Bakhar-Etchea" (pour la première fois, il n'y est pas venu cet été), Loti venait rêver, s'émouvoir, écrire dans la maison accueillante qui s'ouvre sur la montagne, sur le village, sur le fronton de pelote. Les plus belles pages de Ramuntcho furent créées ici...
PIERRE LOTI HÔTEL DE LA RHUNE ASCAIN PAYS BASQUE D'ANTAN |
Des passages fréquents de Loti, devenu l'ami glorieux de la maison — et qui, aujourd'hui, avec nous tous, et plus que nous ; tous, regarde avec douleur la tombe qui s'est refermée... — des séjours de l'écrivain très illustre, il s'est déjà formé, ici, une légende. Qu'y a-t-il de véridique, de suppose, dans les personnages, les péripéties de Ramuntcho. Je ne le rechercherai pas. Je ne le sais pas.
Dans la chambre où il venait se recueillir, entendre les chants des jeunes filles au mois de Marie ou les chants plus mélancoliques, dans l'automne, du mois du Rosaire, de nombreuses photographies le représentent dans les divers costumes et les divers uniformes de son existence aventureuse. Par la présence de ces effigies, l'"hostellerie" basque a des allures de petit musée littéraire. C'est, avec les demeures de la Bidassoa et de Rochefort, une "maison de Loti", un peu.
JEAN-PIERRE BORDA DIT OTHARRE |
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