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lundi 23 septembre 2019

LES "ROBINSONS BASQUES" PAR FRANCIS JAMMES EN 1925


"LES ROBINSONS BASQUES" PAR FRANCIS JAMMES.


Francis Jammes est un poète, romancier, dramaturge et critique français qui a passé la majeure partie de son existence dans le Béarn et le Pays Basque, principales sources de son inspiration.


pays basque autrefois poete
LES ROBINSONS BASQUES DE FRANCIS JAMMES 1925


Voici ce que rapporta le journal La Croix, dans son édition du 21 juin 1925, sous la plume de 

Charles Baussan :



"Les Robinsons Basques par Francis Jammes.



A la fin d'un plantureux repas que dans son livre, sinon dans sa ferme de Garris, M. Francis Jammes offre à ses "Etats Généraux" du pays basque, — un repas où tout est savoureux, les choux farcis flanqués de tranches d'andouilles, les truites frites, le civet de lièvre, le filet de vache et le vin d'Irouléguy, mais plus encore les propos des convives, — le dessert est apporté par des poètes du crû, des improvisateurs, des "Koblaris" : Etchechoury, l'éleveur de chevaux, et Etchégaray, le joueur de pelote, combattent en un duel littéraire.


poete labourd autrefois
MAISON DE FRANCIS JAMMES A HASPARREN
PAYS BASQUE D'ANTAN


Leur verve, volontairement et traditionnellement, ne s'élève guère au-dessus de terre ; ce qu'ils voient, c'est l'outre pleine de vin de Catalogne, les plats que l'on vide, la balle qui vole ; ce qu'ils chantent,  avec esprit d'ailleurs et avec une puissante simplicité, c'est la lourde joie de vivre.



Après Etchechoury et Etchégaray, un autre "Koblari", Haremboure, fait entendre une toute autre note : quelque chose comme un chant de flûte grecque, un sentiment d'une délicatesse extrêmement raffinée, le hêtre noir où l'amour bâtit son nid, l'étang fait de larmes où se reflète le saule...une dentelle de rêve et de pensée.



Dans les Robinsons basques, c'est tout à la fois Etchechoury et Haremboure qu'est M. Francis Jammes, et c'est en pleine terre, celle où l'on marche, où pousse la vigne et où court la perdrix, qu'il plante la fleur de sa légende.

poete pays basque autrefois
POETE FRANCIS JAMMES


poete pays basque autrefois

POETE FRANCIS JAMMES

Un jour — il y a de cela vingt-cinq siècles, — un navire, l'Eskualdunak, venant de l'Asie, pénètre dans les eaux de l'Adour. Il est commandé par le capitaine Ondicola. L'équipage, les matelots et leurs femmes vivent dans la débauche. Seuls, un jeune homme, Iguskia, et une jeune fille, Ilhargia, sont demeurés purs.



Cette terre — qui va être l'Eskuarie — est inhabitée ; elle est pure, elle aussi, elle est jeune ; elle s'apparente à Iguskia et Ilhargia. Ondicola décide de la leur donner ; il veut qu'il y sorte d'eux une race saine. Il ordonne à tous les matelots, à tous les passagers, à l'exception du jeune homme et de la jeune fille, de remonter sur l'Eskualdunak, et il fait sauter le navire.



Iguskia et Ilhargia — les deux Robinsons basques — découvrent peu à peu leur royaume ; ils arrivèrent, en suivant un affluent de l'Adour, la Nive, sur les lieux où s'élève aujourd'hui "l'ombreux et lumineux village d'Itxassou" ; changeant de vallées, au gré de leurs flâneries, ils vinrent à Macaye, à Mendionde, aux grottes d’Isturitz. Ils se nourrissaient de truites et de palombes, de pain fait de racines d’asphodèle de mûres et, plus tard, de nèfles. C'est le néflier qui fournit à Iguskia le premier makhila




Devant la lumière bleue, où criaient les cigales, Iguskia et Ilhargia "ressentirent que, dans la béante profondeur, il y avait Quelqu’un...Ils comprirent que dans cette splendeur visible et au delà Dieu est". 




Ils furent le père et la mère du peuple basque. Ils eurent d’abord un fils, puis une fille qui mourut à deux ans, ensuite cinq autres fils qui se suivirent de près. La joie était à leur foyer, mais l’ombre du cerisier sauvage au pied duquel ils avaient enterré leur enfant leur rappelait la douleur. 




Les trois aînés de leurs fils, Zoardia, Aritza et Sura, aimaient la pêche et la capture des palombes. Le plus âgé avait vingt ans, quand, un soir, il s’endormit, avec ses deux frères, sur la plage où, jadis, avait sombré l'Eskualdunak. A leur réveil, ils aperçurent six jeunes filles. Elles aussi venaient des plateaux de l’Himalaya, et un prince, frère d’Ondicola, les avait, de dépit, fait embarquer sur une galère sans équipage, pensant bien qu’elles périraient en mer ; mais le zéphir les avait protégées, et Borée n’avait coulé le navire que lorsque les jeunes filles étaient descendues à terre. 


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POETE FRANCIS JAMMES

Zoardia, Aritza et Sura vinrent au-devant des jeunes filles avec des fraises, des cerises, du fromage de biche et du pain. Les jeunes filles mangèrent en riant. Elles suivirent les jeunes gens chez eux, au coteau d’Ayherre, non loin d’Hasparren. Bientôt chacune d’elles épousa un des six fils d’Iguskia et d'Ilhargia. Des groupes familiaux occupèrent le Labourd, la Basse-Navarre, la Soule, où ils s’adonnaient à l’agriculture et à l’élevage ; d’autres, en Espagne, le Guipuzcoa, où ils s’initièrent à l’industrie du cuir et au commerce. La saine race basque était fondée. 




Cette pastorale de l’âge d’or, M. Francis Jammes l’attribue généreusement à deux juifs qui la lui racontent, Jacob Meyer, brocanteur à Bayonne, et son neveu, Eliézer Meyer, vaguement ingénieur à Aix, tous deux plus ou moins poètes, eux aussi. 




Mais ils ne sont pas que poètes, Jacob a découvert, en un document trouvé chez un bouquiniste, que pendant la Révolution un ancêtre de M. Passerose, le propriétaire des grottes préhistoriques d’Isturitz, y a enfoui en terre un coffre rempli d’or, d’argent et de pierres précieuses. M. Passerose est en voyage. Le gardien des grottes, Salbaya, est un cerbère inabordable. Or, M. Passerose a confié une clé des grottes à M. Francis Jammes. Comment avoir cette clé ? Tout l’effort des deux Meyer tend à gagner le poète, et c’est pour le gagner qu’ils ont inventé la légende et qu’ils l’enrichissent d’épisodes nouveaux. 




Malheureusement pour eux, M. Francis Jammes se défie. Et voici qu’une nuit Eliézer, qui est somnambule, lui dit en rêve toute la vérité. Immédiatement, M. Francis Jammes court aux grottes et, avec Salbaya, il met le trésor en sûreté chez le gardien. 




Quand, avec la clé que le poète leur confie enfin, Jacob et Eliézer vont pour mettre la main sur le coffre, c’est une jeune fille, habillée comme celles de la légende, qui sort de terre ! Une cousine de M. Francis Jammes, Eva. 




Ce petit roman comique finit, d’ailleurs, par un mariage. Sans fortune, Eva cherchait un mari. Eliézer demande sa main : il se convertira au christianisme. Le poète compte bien qu’Eva refusera. Mais elle accepté. Le mariage se fait, et Eliézer, qui n’est plus Eliézer, mais Philippe, est tout transformé. Il est devenu Basque en même temps que chrétien. 




On le voit, point d’action soumise à la raison raisonnante. Mais faut-il demander la vraisemblance à qui ne cherche que la fantaisie ? La légende des origines basques, la chasse au trésor, ce n’est, l’une et l’autre, que le morceau de toile ou de papier, que l’on ne voit pas, et sur lequel M. Francis Jammes a peint, en d’éblouissantes couleurs, le pays basque d’avant l’histoire et celui qu’il a sous les yeux. 



poete pays basque autrefois
POETE FRANCIS JAMMES

Ici, dans une pastorale antique, Iguskia écrase entre des pierres les grains de froment et Ilhargia en pétrit et fait cuire la farine ; là, dans une chanson de geste, les Basques courent à la défense de leurs frères d’Espagne ; ils font le siège de Pampelune, comme Charlemagne celui de Saragosse, et c’est un jongleur qui, sur le rythme habituel, chante, comme d’autres Olivier et Roland, ces barons ; Arnaud de Macaye, Saude d'Espelette, Auger de Mauléon, etc. 




Une autre peinture, au-dessus du cimetière d’Ascain, rassemble en une saisissante synthèse la pensée et l'activité basques : les marins affrontant l’inconnu ; les laboureurs et les bergers ; les guerriers menaçant de leurs makhilas les fils de Mahomet ; les prêtres, les missionnaires, les martyrs de Chine ; les joueurs de pelote, et "l’humble peuple au cœur d’or des petits négociants qui taille le cuir, détaille la viande, fait griller le café devant les portes". 




M. Francis Jammes ne se contente pas de cette vue générale, de cette composition d’ensemble ; il ne nous fait pas saluer seulement — et comme on le fait volontiers avec lui ! — son Hasparren : "Ville délicieuse, charme premier du pays basque, où les magasins bas avec leurs porches romans, leurs naïves enseignes, la pauvreté de leurs denrées exposées aux devantures, suffiraient à nous guérir de la croyance qu’il est nécessaire pour vivre de se trouver aux portes du Louvre ou de l'Institut Pasteur." Il ne nous montre pas seulement "les églises à triple clocher adossées à leurs presbytères dont les jardins produisent des légumes, des fruits, des lis blancs et des pois de senteur" ; il n’est pas seulement paysagiste et peintre de genre, il est portraitiste : aucun trait, aucun détail de ligne ou de couleur, aucun vermillon n’est oublié sur les figures des convives de ses "Etats généraux", ces vingt-deux Basques, tous si magnifiquement Basques, et chacun si magnifiquement soi-même. 




La gaieté basque est sœur de la gaieté gauloise. Elle rit, en mainte page de ce livre ; elle éclate en ce délicieux repas de la ferme de Garris. 




Le Basque sait être grave aussi et il est croyant en toute fierté. Et voici une pastorale encore, mais une pastorale religieuse : 



"La sonnerie des cloches reprit en s'accentuant. La douce vallée était bercée par elle. C'était au matin de la Fête-Dieu.  


Une louange sans nom monta de la matinée. 


litterature pays basque
TIMBRE LA POSTE FRANCIS JAMMES 1995

De vivants chemins, à 11 heures, se mirent en marche ; on ne savait plus si c'étaient les cerisiers qui s’avançaient ou la foule. On entendait l’orage des tambours et, par moments, entre leurs batteries et celles des clairons, l’hymne montait et s’affaissait comme la mer. Puis le grondement reprenait dans le rire des cloches en extase et le regard bleu du ciel se reposait avec amour sur les blés.  



Que ce paysage était simple ! Simple Comme cette race unique fondue à la sérénité des collines, à la clémence du climat, à la frugalité des terres ! Elle suivait ce morceau de Pain qu’est son Seigneur et son Dieu. Elle le suivait sans hésitation, le cœur large et tout baigné d'une rosée angélique. Ils allaient, leurs grains de bois sec dans une de leurs mains calleuses, et, dans l’autre, le béret dont ils montraient la belle doublure neuve, vêtus du court chamar ou de la veste commune, le pantalon arrêté au-dessus de la cheville pour que la poussière ou la boue n’atteignît que les gros souliers..." 




Ainsi, dans cette sorte de romancero, dans cette promenade plutôt où, à cheval sur sa fantaisie, il trotte, va au pas, galope, s’arrête à baguenauder avec le passant qui lui plaît, M. Francis Jammes a su  être Basque pour chanter la terre basque ; en l’honneur de l’Eskuarie, il n’a voulu qu’une trame légère et pas beaucoup plus consistante que ne l'est, à l’automne, le réseau des fils de la Vierge, tendu d’un chaume à l’autre, pour y broder, avec tout son art, cent paysages et cent figures et pour montrer les deux aspects, les deux sourires de la race née de cette terre : l’idéaliste et le réaliste.



ecrivain pays basque autrefois
POETE FRANCIS JAMMES

Lui-même, comme un père qui aurait deux filles également aimées, il a, dans ce clair pays, donné la main tantôt à l’une, tantôt à l’autre ; il s’est laissé conduire tantôt par l'observation vers les terres de vérité, de réalisme, de vie plantureuse et simple, tantôt par l’imagination vers les coteaux des légendes et les horizons bleus de la pensée."





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