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lundi 13 septembre 2021

VINGT ANS D'INTIMITÉ AVEC EDMOND ROSTAND AU PAYS BASQUE (douzième partie)

 

VINGT ANS D'INTIMITÉ AVEC EDMOND ROSTAND.


Paul Faure a été l'ami et le confident d'Edmond Rostand pendant de très nombreuses années.



pays basque autrefois cambo rostand
LE PEINTRE PASCAU, FAURE ET ROSTAND ET MADAME ROSTAND  EN 1902
PAYS BASQUE D'ANTAN
COLLECTION MUSEE BASQUE BAYONNE


Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Les Annales politiques et littéraires, sous la plume de 

Paul Faure, dans son édition du 1er octobre 1927 :



"Vingt ans d'intimité avec Edmond Rostand.



...La guerre. — Arnaga désert. — Le gramophone de Coquelin, — Projets nouveaux. — Les chênes malades. — L'Amistice. — Départ pour Paris. — La grippe— Illusion et découragement. — L'attente dans l'angoisse. — La fin. — La chambre vide...



La guerre est déclarée. Rostand, malgré une activité intellectuelle à laquelle on devra les poèmes du Vol de la Marseillaise, allait, désespéré par la folie des hommes, se sentir touché au tréfonds de lui, abattu par ce mal que font les déceptions aux sensibilités trop tendues, insuffisamment protégées par l'organisme. Il était physiquement blessé. Une imprudence, un voyage à Paris au moment où sévissait la grippe, pourtant à son déclin, et ce serait la mort.



Août 1914. 

Tout ce mois se passe en alertes, en anxiété. Ici, il fait peut-être plus angoissant encore qu'à Paris. Si loin des nouvelles qui n'arrivent que tronquées et lentes, on ne cesse d'imaginer le pire. A peine un télégramme, un communiqué, sont-ils venus calmer un peu les craintes qu'elles renaissent aussitôt.



Au pays basque, c'est, comme ailleurs, un éparpillement général des êtres et des choses. En ce moment, il y a dans chaque foyer, dans chaque existence, un brisement plus ou moins complet. Rostand, tout à un hôpital qu'on vient d'installer à Larressore, village voisin de Cambo, a renoncé à travailler. Il est tellement crispé par l'attente des événements qu'il ne tient plus en place. Il va, vient, désorienté.



Heureusement, dès les premiers jours de septembre, c'est la Marne...



1915-1916.



Le père de Rostand, qui était venu se réfugier à Arnaga, y mourait le 21 janvier 1915. Rostand partit pour Marseille, où se fit l'inhumation, puis s'installa à Paris, dans un appartement de l'avenue La-Bourdonnais, près de son oncle, gravement malade.



La guerre a tout défait. Arnaga est désert. J'ai voulu y venir passer une après-midi. Personne. Le concierge m'apprend que deux des jardiniers ont été tués ; deux autres sont au front ; un seul reste, âgé.



Le jardin est comme lui, il a l'air vieux, et de-ci de-là se défait. Un jardin abandonné n'est pas sans charmes. Mais j'ai été trop habitué à voir celui d'Arnaga avec Rostand pour qu'il me soit possible, aujourd'hui, de goûter la mélancolie délicieuse de ces allées vêtues d'herbes, de cet aspect de ruine qu'il prend insensiblement. La maison le domine de ses façades claires, autour desquelles les pigeons nouent et dénouent infatigablement leurs guirlandes de roses blanches. Mais pas de stores aux balcons, ils sont pliés, ficelés dans les encoignures, comme de hauts paquets. Les fenêtres sont fermées, sauf, tout en haut, celle de la chambre du gardien.



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VILLA ARNAGA DE ROSTAND A CAMBO
PAYS BASQUE D'ANTAN


Des mois ont passé, pendant lesquels je n'ai eu des nouvelles de Rostand que de loin en loin. De Paris, il est allé plusieurs fois au front. Il a récité à la Sorbonne quelques-uns de ses poèmes de guerre.



pays basque autrefois rostand
VILLA ARNAGA CAMBO
PAYS BASQUE D'ANTAN


Juillet 1917.



Par une dépêche m'arrive, au moment où je m'y attendais le moins, la bonne nouvelle de sa venue à Arnaga. Il compte prolonger son séjour à Cambo jusqu'à l'automne.



10 juillet.



Rostand vient d'arriver ce matin.



En touchant le seuil d'Arnaga, il a eu un mouvement d'émotion que décelait sa pâleur, puis une joie, celle de l'écolier qui retrouve la maison de ses vacances.



Lui qui, d'habitude, est à ce point brisé de fatigue après une nuit de chemin de fer qu'il lui faut se coucher, il n'éprouve pas, aujourd'hui, le moindre besoin de repos. Tout de suite, il est allé au jardin, l'a parcouru dans tous les sens, le redécouvrant à chaque pas.



Rostand m'a parlé de la guerre, dont les dernières nouvelles permettent d'espérer qu'elle s'achèvera par la victoire, de ses visites au front, de La Dernière Nuit de Don Juan, la pièce à laquelle il est en train de mettre la dernière main, et d'une Jeanne d'Arc qu'il se propose.



Nous continuons notre promenade à travers les parterres, que le soir enveloppe peu à peu, tandis que, là-bas, au fond du silence, s'entend la cloche d'Espelette, au son si doux et si lent qu'on a l'impression qu'elle est balancée par une main paresseuse.



On a dressé le couvert face au jardin, sur la terrasse, à l'endroit de la pierre où est incrusté un losange de briques.



Est-ce la détente que procure à Rostand le contraste entre Paris, où la vie est énervée par l'anxiété de la guerre, et Arnaga, où l'horreur de l'immense tuerie semble tellement absurde qu'on serait tenté de l'oublier si on ne s'en défendait par devoir et scrupule ? Est-ce cette absence de quelques mois dont un des résultats est de donner à Rostand l'impression qu'il voit son jardin comme avec des yeux neufs ? Toujours est-il qu'il a, devant cette nature, une émotion que son mutisme ne parvient pas à cacher.



Chaque soir, le couvert fut dressé à cet endroit de la terrasse. Le temps était merveilleux. Un hasard nous fit, à un moment, découvrir dans une chambre inoccupée un gramophone jadis offert à Rostand par Coquelin.


pays basque autrefois rostand cambo
EDMOND ROSTAND
PAYS BASQUE D'ANTAN

Nous le fîmes marcher au hasard des disques qui nous tombaient sous la main. Pas un qui ne donnât l'essor à quelque mélodie à ce point délicieuse qu'elle devait me devenir inoubliable, par exemple Liebeslied, un air viennois, non pas joué, mais sangloté par le violon de Fritz Kreisler, et certaines mélodies chantées par Reynaldo Hahn : La Tour Saint-Jacques, La Barchetta...



compositeur venezuela marcel proust
PHOTOGRAPHIE DE REYNALDO HAHN 1898
PAR NADAR



Bien des choses devaient, plus tard, me rappeler Rostand : l'odeur de sa chambre, cette persistante odeur de bois précieux et de tapis, sa canne à béquille d'ivoire, son chapeau de peluche d'un gris souris qu'il mettait ici chaque jour ; mais mon plus puissant moyen de l'évoquer, c'est La Barchetta et Liebeslied.



Août s'écoule dans une continuité de beau temps. Le matin, depuis dix heures, et l'après-midi, Rostand travaille. A dix heures, il sort. A huit heures, le dîner.



Hier, je suis allé avec Rostand à Hendaye, voir Courteline, qu'il admire beaucoup, et qui est en ce moment, avec sa femme, à l'hôtel Eskualduna.



Courteline fut charmant, comme à son ordinaire, et nous amusa bien avec des histoires sur Anatole France, sur ses réceptions à la Béchellerie, en Touraine. Le soir, au Golf-Hôtel de Saint-Jean-de-Luz, Rostand ayant été reconnu à table, tout le monde se mit aux portes pour le regarder quand il partit.



pays basque autrefois hôtel
GOLF HÔTEL ST JEAN DE LUZ
PAYS BASQUE D'ANTAN


7 septembre.



Rostand va regagner Paris. Il ne pense pas pouvoir revenir avant un an.



1918.



"Je pense arriver à Arnaga dans les premiers jours d'août. Combien de temps resterai-je ? Je l'ignore. De quinze jours à quatre mois. Cela dépendra des circonstances... Je vous préviendrai un peu avant mon arrivée. Cher ami, j'espère de tout mon coeur que vous pourrez venir à Arnaga.


Mille affections et espoirs.

Votre

Edmond Rostand."



Cette lettre, datée de Paris, je l'ai reçue hier, 27 juillet 1918.



13 août 1918.



Rostand vient d'arriver.



L'été dernier, j'avais noté son émotion en revoyant sa maison. Cette année, il est, peut-être, plus ému encore.



— Ah ! s'écrie-t-il, en jaillissant de l'auto, nous y voilà enfin ! Je croyais que je ne pourrais jamais quitter Paris. Tant de choses m'y retenaient, surtout l'intérêt passionnant des nouvelles ! Elles sont de plus en plus rassurantes ; il n'y a aucun doute, la guerre va finir.



Le vestibule est étincelant de sa pierre blanche, de ses vases fleuris, de ses peintures. Le soleil d'une admirable journée fait briller cette gaieté des choses.



Oui, il me semble que Rostand revoit Arnaga avec plus de plaisir encore que l'année dernière. Comme l'année dernière, il a, dès son arrivée, parcouru le hall, la bibliothèque, les salons. Et il m'explique ses projets d'arrangement. Dans le hall, la porte qui donne sur la terrasse et le jardin est grande ouverte.

— Dieu, s'écrie-t-il, que le jardin est joli !



Depuis trois mois, quelques-uns des jardiniers ont été démobilisés ; et le jardin y a évidemment gagné.



La table du dîner a été mise au même endroit que l'été dernier, sur le losange de briques qui orne le milieu de la terrasse. Ces dîners, si enveloppés de la poésie d'Arnaga, j'y ai, pour ma part, repensé si souvent, que je n'ai presque pas d'étonnement à me rasseoir devant cette table qu'entoure ce jardin, clos là-bas par ces pavillons sur lesquels, en ce moment, le soleil déclinant pose ses fleurs vermeilles.



Du gramophone sortent le sanglot du violon de Kreisler, puis la voix de Reynaldo Hahn : Liebeslied et La Barchetta.



Vertu évocatrice de la musique ! Brusquement, le passé de l'été dernier est autour de moi, aussi perceptible que si le temps n'avait pas bougé. Je ne saurais trop dire ce qui me trouble le plus en ce moment, du passé remonté à la surface du temps par l'effet de ce violon et de cette voix, ou de tout ce qui rend délicieux l'instant présent : ce jardin dont le soir fane les couleurs, ce paysage, cette approche d'une nuit d'été, toutes ces choses sont les mêmes que l'été dernier, elles donnent tout ce qu'elles peuvent donner, sont développées à leur plus haut degré par cette musique ; mais elles ne me troublent probablement si fort que parce qu'elles sont un recommencement.



Ce mois d'août qui vient de finir a été admirable. Mes craintes étaient vaines que ces soirées ne se retrouvassent pas, et tout ce qui en marquait si spécialement les heures : le coucher de soleil sur le jardin, le parfum des fleurs à l'approche de la nuit, les premières étoiles sur les cyprès, le vent du sud qui apportait dans ses velours les sons graves et si lents de la cloche d'Espelette. Ces soirées sur la terrasse ont donné à Rostand un goût plus passionné encore pour sa demeure, tellement qu'il me disait :



— Je ne désire plus qu'une chose : finir ma vie devant mon jardin.



2 septembre.



Rostand nous a lu, hier, des passages des Mémoires d'Outre-Tombe, qu'il admire beaucoup : les soirées de Combourg, la mort de Napoléon. Puis, on a parlé prose.



Rostand en a écrit de si belle : Discours de Réception à l'Académie, Adieu à Coquelin, Discours à Lyon sur la Commémoration des Morts de la Guerre, que je lui ai demandé pourquoi il ne se mettait pas à quelque oeuvre en prose, de longue haleine.



— J'y ai songé, m'a-t-il répondu. Mais quel sujet traiter ? Je ne vois pas, mon cerveau est ainsi fait que tout s'y présente sous la forme du drame, et du drame en vers. Peut-être ne serait-ce qu'un effort à faire, un pli à prendre. Certes, la chose me tente d'autant plus que je peux de moins en moins entrer dans un théâtre. La seule vue des trois messieurs en habit noir juchés derrière le bureau du contrôle suffit à m'en écarter. Si j'écris encore des pièces, je ne les ferai pas jouer, je me contenterai de les publier dans une revue.



Les jours s'écoulent. Pas d'accrocs. Les nouvelles de la guerre sont chaque jour meilleures. L'issue victorieuse est proche. Rostand travaille l'après-midi. Parfois, vers cinq heures, nous allons en voiture dans les environs de Cambo. Et nous dînons sur la terrasse. Une grosse lampe que, chaque soir un peu plus tôt, l'on pose sur la table, est le seul indice du déclin de l'été. Les ors de l'automne ne se sont pas encore posés sur le jardin.



Je n'ai jamais mieux senti la gentillesse de Rostand que tous ces jours-ci. Il y a des moments où, sous l'influence d'une dépression nerveuse, d'une trop grande tension de la pensée ou d'une inquiétude quelconque, il se replie sur lui. Et alors, il n'est qu'ombre et silence ; car, quoi qu'il ait, il ne se plaint jamais, même auprès de ses familiers. Toutes ses qualités reparaissent soudain dès que, l'esprit plus libre, il participe au dehors, communique avec la vie des autres.



20 septembre.



Ce soir, à table, Rostand me dit cette chose inattendue :



— J'ai constaté que les chênes d'Arnaga sont malades. Je ne sais quelle maladie fait tomber leurs feuilles en poussière ; ils vont mourir. Dans deux ans au plus, il faudra les abattre tous. Et le jardin, sans ces vieux chênes qui en sont le plus bel ornement, n'existera plus. Aussi, je suis décidé à vendre Arnaga. J'hésitais à vous le dire, car je sais combien vous l'aimez, mais ma décision est prise. J'irai probablement habiter Fontainebleau, où Le Bargy m'a signalé, l'an dernier, une ravissante maison qu'on me laisserait à un prix possible.



J'ai parlé d'autre chose.



23 septembre.



Depuis quatre jours, nous n'avons pas dit un mot de la question Arnaga. Mais, ce soir, elle est revenue sur le tapis.



Rostand me dit, d'un air de ne pas y attacher d'importance :



— Eh bien ! mon projet de vendre Arnaga ? qu'en pensez-vous ?



— J'en pense que c'est fou. La crainte de voir mourir vos chênes est excessive. Je connais cette maladie, qui fait se recroqueviller les feuilles de certains arbres. Cela dure un an, deux ans, puis cela passe ; et en admettant même que vos chênes dussent en mourir, vous pouvez être certain que la catastrophe ne se produirait que dans des années ; vous pouvez dormir tranquille. Malades ou non, vos chênes vivront beaucoup plus longtemps que nous.



Rostand ne dit rien."



A suivre...





 




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