VINGT ANS D'INTIMITÉ AVEC EDMOND ROSTAND.
Paul Faure a été l'ami et le confident d'Edmond Rostand pendant de très nombreuses années.
LE PEINTRE PASCAU, FAURE ET ROSTAND ET MADAME ROSTAND EN 1902 PAYS BASQUE D'ANTAN COLLECTION MUSEE BASQUE BAYONNE |
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Les Annales politiques et littéraires, sous la plume de
Paul Faure, dans son édition du 1er octobre 1927 :
"Vingt ans d'intimité avec Edmond Rostand.
...La guerre. — Arnaga désert. — Le gramophone de Coquelin, — Projets nouveaux. — Les chênes malades. — L'Amistice. — Départ pour Paris. — La grippe— Illusion et découragement. — L'attente dans l'angoisse. — La fin. — La chambre vide...
La guerre est déclarée. Rostand, malgré une activité intellectuelle à laquelle on devra les poèmes du Vol de la Marseillaise, allait, désespéré par la folie des hommes, se sentir touché au tréfonds de lui, abattu par ce mal que font les déceptions aux sensibilités trop tendues, insuffisamment protégées par l'organisme. Il était physiquement blessé. Une imprudence, un voyage à Paris au moment où sévissait la grippe, pourtant à son déclin, et ce serait la mort.
Août 1914.
Tout ce mois se passe en alertes, en anxiété. Ici, il fait peut-être plus angoissant encore qu'à Paris. Si loin des nouvelles qui n'arrivent que tronquées et lentes, on ne cesse d'imaginer le pire. A peine un télégramme, un communiqué, sont-ils venus calmer un peu les craintes qu'elles renaissent aussitôt.
Au pays basque, c'est, comme ailleurs, un éparpillement général des êtres et des choses. En ce moment, il y a dans chaque foyer, dans chaque existence, un brisement plus ou moins complet. Rostand, tout à un hôpital qu'on vient d'installer à Larressore, village voisin de Cambo, a renoncé à travailler. Il est tellement crispé par l'attente des événements qu'il ne tient plus en place. Il va, vient, désorienté.
Heureusement, dès les premiers jours de septembre, c'est la Marne...
1915-1916.
Le père de Rostand, qui était venu se réfugier à Arnaga, y mourait le 21 janvier 1915. Rostand partit pour Marseille, où se fit l'inhumation, puis s'installa à Paris, dans un appartement de l'avenue La-Bourdonnais, près de son oncle, gravement malade.
La guerre a tout défait. Arnaga est désert. J'ai voulu y venir passer une après-midi. Personne. Le concierge m'apprend que deux des jardiniers ont été tués ; deux autres sont au front ; un seul reste, âgé.
Le jardin est comme lui, il a l'air vieux, et de-ci de-là se défait. Un jardin abandonné n'est pas sans charmes. Mais j'ai été trop habitué à voir celui d'Arnaga avec Rostand pour qu'il me soit possible, aujourd'hui, de goûter la mélancolie délicieuse de ces allées vêtues d'herbes, de cet aspect de ruine qu'il prend insensiblement. La maison le domine de ses façades claires, autour desquelles les pigeons nouent et dénouent infatigablement leurs guirlandes de roses blanches. Mais pas de stores aux balcons, ils sont pliés, ficelés dans les encoignures, comme de hauts paquets. Les fenêtres sont fermées, sauf, tout en haut, celle de la chambre du gardien.
VILLA ARNAGA DE ROSTAND A CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Des mois ont passé, pendant lesquels je n'ai eu des nouvelles de Rostand que de loin en loin. De Paris, il est allé plusieurs fois au front. Il a récité à la Sorbonne quelques-uns de ses poèmes de guerre.
VILLA ARNAGA CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Juillet 1917.
Par une dépêche m'arrive, au moment où je m'y attendais le moins, la bonne nouvelle de sa venue à Arnaga. Il compte prolonger son séjour à Cambo jusqu'à l'automne.
10 juillet.
Rostand vient d'arriver ce matin.
En touchant le seuil d'Arnaga, il a eu un mouvement d'émotion que décelait sa pâleur, puis une joie, celle de l'écolier qui retrouve la maison de ses vacances.
Lui qui, d'habitude, est à ce point brisé de fatigue après une nuit de chemin de fer qu'il lui faut se coucher, il n'éprouve pas, aujourd'hui, le moindre besoin de repos. Tout de suite, il est allé au jardin, l'a parcouru dans tous les sens, le redécouvrant à chaque pas.
Rostand m'a parlé de la guerre, dont les dernières nouvelles permettent d'espérer qu'elle s'achèvera par la victoire, de ses visites au front, de La Dernière Nuit de Don Juan, la pièce à laquelle il est en train de mettre la dernière main, et d'une Jeanne d'Arc qu'il se propose.
Nous continuons notre promenade à travers les parterres, que le soir enveloppe peu à peu, tandis que, là-bas, au fond du silence, s'entend la cloche d'Espelette, au son si doux et si lent qu'on a l'impression qu'elle est balancée par une main paresseuse.
On a dressé le couvert face au jardin, sur la terrasse, à l'endroit de la pierre où est incrusté un losange de briques.
Est-ce la détente que procure à Rostand le contraste entre Paris, où la vie est énervée par l'anxiété de la guerre, et Arnaga, où l'horreur de l'immense tuerie semble tellement absurde qu'on serait tenté de l'oublier si on ne s'en défendait par devoir et scrupule ? Est-ce cette absence de quelques mois dont un des résultats est de donner à Rostand l'impression qu'il voit son jardin comme avec des yeux neufs ? Toujours est-il qu'il a, devant cette nature, une émotion que son mutisme ne parvient pas à cacher.
Chaque soir, le couvert fut dressé à cet endroit de la terrasse. Le temps était merveilleux. Un hasard nous fit, à un moment, découvrir dans une chambre inoccupée un gramophone jadis offert à Rostand par Coquelin.
EDMOND ROSTAND PAYS BASQUE D'ANTAN |
Nous le fîmes marcher au hasard des disques qui nous tombaient sous la main. Pas un qui ne donnât l'essor à quelque mélodie à ce point délicieuse qu'elle devait me devenir inoubliable, par exemple Liebeslied, un air viennois, non pas joué, mais sangloté par le violon de Fritz Kreisler, et certaines mélodies chantées par Reynaldo Hahn : La Tour Saint-Jacques, La Barchetta...
PHOTOGRAPHIE DE REYNALDO HAHN 1898 PAR NADAR |
Bien des choses devaient, plus tard, me rappeler Rostand : l'odeur de sa chambre, cette persistante odeur de bois précieux et de tapis, sa canne à béquille d'ivoire, son chapeau de peluche d'un gris souris qu'il mettait ici chaque jour ; mais mon plus puissant moyen de l'évoquer, c'est La Barchetta et Liebeslied.
Août s'écoule dans une continuité de beau temps. Le matin, depuis dix heures, et l'après-midi, Rostand travaille. A dix heures, il sort. A huit heures, le dîner.
Hier, je suis allé avec Rostand à Hendaye, voir Courteline, qu'il admire beaucoup, et qui est en ce moment, avec sa femme, à l'hôtel Eskualduna.
Courteline fut charmant, comme à son ordinaire, et nous amusa bien avec des histoires sur Anatole France, sur ses réceptions à la Béchellerie, en Touraine. Le soir, au Golf-Hôtel de Saint-Jean-de-Luz, Rostand ayant été reconnu à table, tout le monde se mit aux portes pour le regarder quand il partit.
GOLF HÔTEL ST JEAN DE LUZ PAYS BASQUE D'ANTAN |
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